Sur le Rapport de la Chambre Territoriale des Comptes, sur l'emploi en Polynésie française
Séance du 24/04/ 2008
Eléanor PARKER
Rapport d’observations définitives de la Chambre Territoriale des Comptes
Politique de l’EMPLOI
Exercices 1998 à 2006
Monsieur le Président de l’Assemblée de la Polynésie française,
Monsieur le Président du gouvernement de la Polynésie française,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Représentants,
Chers Journalistes, chers Internautes,
Monsieur le Ministre de l’Emploi, je relèverai que ce rapport sur la politique de l’emploi est lié à trois facteurs :
1. la croissance de notre population,
2. la formation professionnelle qui n’a pas de véritable suivi,
3. et le décalage d’une politique uniforme qui n’est pas adaptée aux Archipels éloignés.
Selon le rapport de l’Institut de la Statistique de la Polynésie française, sorti en février 2008, la croissance de l’emploi est très inférieure à la moyenne observée sur les 5 dernières années et l’emploi stagne depuis plus de six mois. Hors une économie qui stagne est une économie qui régresse.
Mise à part l’industrie, les secteurs de l’hôtellerie, de la construction et du commerce ont légèrement baissé. Il a été constaté que ces baisses d’activités sont régulières. Il est donc grand temps d’évaluer une feuille de route pour relancer notre pirogue polynésienne, qui a bien du mal à naviguer depuis 2004.
Je compte sur vous, Monsieur le Ministre, pour mettre en place les mesures innovantes sur l’emploi du programme de To Tatou Ai’a, pour lequel notre population a massivement--, pour ne pas dire majoritairement, voté.
Le SEFI, qui a également ses relais à Raiatea ou dans d’autres circonscriptions, nous a indiqué que si les mesures incitatives à l’emploi ont commencé à toucher les entreprises privées, elles ont fini par s’en dégager pour séduire un peu plus les communes ou les secteurs publics. L’effet escompté d’une telle politique a rapidement démontré ses faiblesses et son coût total avoisinant les 5 milliards n’a finalement pas convaincu les entreprises.
Le rapport de la Chambre Territoriale des Comptes a mis en exergue un problème primordial : le manque de coordination entre la formation professionnelle et l’emploi, ainsi que la difficulté à mesurer la situation réelle du marché de l’emploi. Hors la formation professionnelle est une réinsertion valorisante qui perd de son efficacité, lorsque l’apprenant se retrouve dans le cul-de-sac de l’inactivité.
Il y aurait, selon le SEFI localisé à Papeete, une centaine de personnes sans emplois venant consulter chaque jour des conseillers. Toujours selon le SEFI, à qui ce rapport de la Chambre Territoriale des Comptes a été transmis, un programme de lutte contre l’illettrisme a été mis en place car on a constaté que de nombreux Polynésiens ne pouvaient même pas bénéficier de formations professionnelles au CFPA car ils ne savaient ni écrire ni lire correctement. Cette initiative serait une première étape dans un parcours d’insertion. On ne peut que remercier monsieur Pierre Frébault d’une telle initiative.
Car lorsque nous parlons du travail, c’est bien de l’insertion et de la dignité des gens dont nous parlons.
Il est difficile de croire que des contrats de 30 heures par semaine, rémunérées à 60 000 FCFP par mois, sur une période de 8 mois, sans véritable garantie d’obtenir un CDI, soient une mesure qui rende sa dignité à l’homme ou à la femme marginalisé sur le marché du travail.
Certes, c’est un effort d’incitation à l’embauche et un agent du SEFI m’a assurée que les CED, CPIA et autres initiatives gouvernementales, avaient propulsé la machine à emploi, mais s’étaient rapidement essoufflés.
Du côté du CEPF, bien sûr, la seule et meilleure solution pour permettre aux entrepreneurs d’embaucher, c’est la baisse des charges patronales. C’est une piste incitative en faveur de l’emploi à mettre dans une réflexion globale, et ce type de mesure permettrait d’éviter les effets d’aubaine par rapport à l’incitation à l’emploi par l’octroi de subventions.
Pourriez vous, monsieur le Ministre, nous exposer clairement votre positionnement politique à ce sujet ?
En tant qu’élue des îles, je n’ai pas été surprise de voir que la politique de l’emploi uniforme à toute la Polynésie est inadaptée aux archipels éloignés.
De décembre 2005 à décembre 2006, la masse salariale des Iles sous le vent, Marquises, Australes, Tuamotu-Gambier, est passée de 7307 à 9024 effectifs déclarés : considérez ainsi l’effet positif des initiatives privées de créations d’entreprises telles que les fermes perlières, les pensions de famille ou les hôtels. Si pour les fermes perlières, on peut, dans le pire des cas, apprendre sur le tas, le secteur tourisme nécessite des formations.
Lorsqu’on y regarde de plus près, on constate cependant que les Australes ont perdu une soixantaine d’emplois, toujours fin 2006, et qu’aux Tuamotu, Hao qui comptait 166 salariés en décembre 2000 n’en a plus que 93 en décembre 2006, que des petites îles comme Pukapuka, Tatakoto ou Tureia ont vu leur masse salariale en baisse. Surtout Tureia dont on connaît l’histoire, est une île qui est passée de 234 salariés à 22 sur une période de 10 ans. Après que nos îles aient été exploitées, les gouvernements tahitiens n’ont jamais songé à inciter des projets valorisant l’existence de ces populations polynésiennes, dont la jeunesse se sent marginalisée.
Les Archipels ont besoin d’une politique de l’emploi adaptée à sa population, une politique de l’emploi qui valorise les activités traditionnelles de la Pêche, de l’artisanat et de l’agriculture. Les formations professionnelles devraient être spécifiques et bien décentralisées, elles devraient être suivies et comme nous l’avons toujours défendu au sein de To Tatou Ai’a, la politique de l’emploi exige une culture du résultat. Cette culture du résultat implique aussi les Archipels.
Je souhaiterais qu’une étude soit menée par des économistes et spécialistes de l’emploi, sur les meilleures possibilités de faire de nos Archipels éloignés des pôles d’activités indispensables à la Polynésie française. Tout en respectant, bien sûr notre environnement qui est notre plus grande richesse, à nous les Iliens.
Avec une population croissante, un marché du travail sclérosé, les gouvernements successifs devraient considérer les Archipels comme des potentiels d’ouverture économique. Un peu d’imagination, de rêve, beaucoup de technicité, d’audace, de volonté, sont nécessaires.
Revaloriser l’emploi dans les Archipels éloignés, c’est revaloriser notre jeunesse qui a parfois bien du mal à s’adapter, ici, à Tahiti.
Revaloriser l’emploi dans les Archipels éloignés, c’est revaloriser notre jeunesse qui a parfois bien du mal à s’adapter, ici, à Tahiti. Pour cela, incitons nos jeunes à la création d’entreprises en symbiose avec l’environnement des îles.
Et comme tout est lié, pour éviter les migrations de population des îles à la recherche d’un emploi, il faut penser à une autonomisation de ces îles par le développement durable dont le programme devrait être un déclencheur d’emplois, un propulseur de bonne économie.
Je conclurais ainsi, Monsieur le Ministre, sur la dernière strophe du poème « Le Passant » de Henri Hiro sur un îlien qui vient chercher du travail à Tahiti, comme il y en a tant aujourd’hui :
« Tahiti la Grande me voici… Ce voyage, c’est pour chercher ma part.
Cette séparation, c’est pour mon bien.
Moi, je ne demande qu’un petit métier,
Un peu de travail,
Un peu de vie. »
Je vous remercie de votre attention.
Eléanor Parker
Vice présidente de TE MANA O TE MAU MOTU