Communicabilité des archives publiques sur le Nucléaire: Intervention de Léonie MATAOA
Rapport 30-2008 portant proposition de résolution concernant la communicabilité des archives publiques
« A Fangataufa, on a travaillé sur un Blockhaus qui s’appelle Empereur. C’est l’endroit le plus contaminé parce que j’ai vu que la lumière des appareils s’allumait quand on passait sur la zone contaminée(…) Pour décontaminer, ils ont mis du goudron. (…) On travaillait beaucoup avec des gants et des bottes mais on n’avait pas de combinaison. C’était ceux qui voulaient, pour travailler dans les endroits contaminés, on nous a jamais forcés. Ils payaient bien. (…) Les forages, c’était immense… il y a 3 étages. Ils sont allés je crois jusqu’à 700 mètres, mais c’est un secret, personne ne sait. (…) Je suis revenu en 1980, j’ai été soigné 3 fois à Jean-Prince, le docteur m’a demandé ‘Combien de cigarettes tu fumes ?’ Je n’ai jamais fumé. (…) Maintenant ils font les examens à Moruroa avant que tu partes… mais tu ne sais jamais ce que tu as. »[1]
Je viens de vous lire un extrait du témoignage anonyme d’un Tahitien qui travaillait à Fangataufa. Nous ne sommes pas ici pour exploiter politiquement une zone douloureuse de notre histoire, ce serait bien malvenu, puisque nous sommes aussi en partie responsables de ce qui nous arrive.
La mémoire polynésienne est une archive qui se transmet par voie orale, à défaut de trace écrite : J’ose espérer qu’elle se transmettra toujours et que personne d’autre que nous-mêmes n’écrira notre Histoire.
Aujourd’hui, les archives qui concernent la période des essais nucléaires en Polynésie française, relèvent de la fiction, car elles sont inaccessibles. « À quoi bon, dans ce cas, conserver des documents s’il est impossible d’y accéder, si l’on considère que ceux-ci doivent à jamais demeurer incommunicables à l’humanité ? Ne faudrait-il pas, alors, les détruire sur le champ ? » Demandait tout récemment Madame Annette Wieviorka, directrice de recherches au CNRS.
Et puis, je pense à ceux qui ne peuvent pas prouver qu’ils travaillaient sur ces atolls, parce qu’ils n’avaient pas de contrats, et lorsqu’ils sont partis, ils sont repartis sans trace écrite, la seule trace qui leur reste, est celle qui s’est imprégnée dans leurs gènes, dans leur sang, dans leur poumon. Si c’est de la fiction, ça aussi, nous ne pourrons jamais le savoir tant que les chercheurs et les historiens n’auront pas accès aux archives sur les expérimentations nucléaires en Polynésie française.
Sans trace écrite, sans archives, tous les révisionnismes ont libre court et il est plus grave, à mon avis, de laisser se construire un mythe autour de la contamination ou de la non contamination, plutôt que de laisser aux Polynésiens, l’accès à des archives qui les concernent directement.
Le 15 mai 2008, Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste[2] constate que « Resteront perpétuellement fermées les archives publiques dont la communication serait susceptible « d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue ».
Quel secret-défense peut véritablement justifier le mutisme légiféré, officialisé, imposé par ce projet de loi relatif aux archives ? Paraît-il qu’en 1966, la bombe nucléaire n’était plus à perfectionner, elle était parfaite. Est-ce une fiction ? Paraît-il que ces essais avaient pour but d’expérimenter les effets radioactifs sur l’environnement, sur l’être humain, en l’occurrence, sur « nous ». Est-ce une fiction ? Serait-ce la raison pour laquelle, il n’y a jamais eu ici, de cellule de recherche contre le cancer digne de ce nom ? Déployer de grands moyens médicaux et humains pour suivre l’état sanitaire de la population aurait été un aveu des impacts nuisibles de la bombe.
Pour certaines archives, il existe un délai de communicabilité, allant parfois jusqu’à 50 ans. En ce qui concerne les essais nucléaires en Polynésie française, l’incommunicabilité serait devenue perpétuelle.
Tous unis, nous soutenons, la proposition de délibération soumise par monsieur Tefaarere et madame Hirshon, au nom de ces hommes métropolitains et polynésiens, militaires et civils, employés déclarés et non déclarés, qui ont été enrôlés dans l’engrenage de notre Histoire.
De la volonté du gouvernement central, dépendra l’annulation de ce véto. La question étant de savoir si l’on veut faire de notre expérience du nucléaire une fiction ou une réalité.
Je vous remercie de votre attention.
[1] Témoignage dans « Les Essais Nucléaires français de 1966 à 1996 » de Bruno Barillot, pp.260 -261, éditions Centre de documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits.
[2] Rappel : si les Socialistes se portent fervents défenseurs de l’anti nucléaire, François Mitterrand les a seulement « suspendus ».