Monsieur Jurien de la Gravière: Ses commentaires sur la Mission Réhabilitation
Le samedi 28 juin 2008, Monsieur Jurien de la Gravière s'est déplacé à Rikitea, pour constater l'état d'avancement des travaux de la mission Réhabilitation. Interrogé par les journalistes locaux, il est intervenu sur la raison de ce déplacement, la communicabilité des archives sur le Nucléaire, les interventions de déconstruction de l'Etat, l'Historial, ce qui a été accompli depuis 2005. Nous vous proposons, ci-dessous un compte rendu de cette journée du délégué à la Sûreté du Nucléaire (commentaires en italiques).
1- La Mission de Réhabilitation
« … Quand on a arrêté les essais, s’est posée la question de ‘qu’est-ce qu’on fait de ces installations ?’.
Partout on nous a dit, ‘il faut les démonter’ ; alors de façon plus ou moins pratique, vu d’aujourd’hui en 2008, on a constaté que certaines ferrailles sont ressorties à travers la couche de corail qui avait été mise, … tout ça, négatif pour l’environnement, a été replié en 1996, et à la demande des populations, on a laissé les grands hangars parce que ça pouvait leur servir, on a laissé les blockhaus parce qu’ils voulaient garder les blockhaus.
Et puis 10 ans après, quand je suis revenu ici pour la session des Hautes Etudes de la Défense Nationale, au moment où le président Oscar TEMARU était président de la Polynésie française, on a constaté que tout ça était nuisible à l’environnement et en plus dangereux pour les personnes ; ça pouvait s’écrouler et en particulier les blockhaus.
Quand je suis rentré en octobre 2005 à Paris, j’ai dit à Madame ALLIOT MARIE qu’il y avait une double problématique :
- d’information à la population sur ce qui c’est passé pendant les essais atmosphériques : ça a été fait.
- Au sujet des restes du CEP, il y a un danger pour la population avec des risques d’accidents et cela pourrait se retourner contre l’Etat français.
On a donc convenu d’un projet de réhabilitation sur les 4 atolls de PUKARUA, on a démonté des structures, récupéré des métaux, cassé des dalles,… et tous les déchets doivent être à Tahiti dans les filières déchets. On a fait MANGAREVA… ici à RIKITEA, il y avait des surveillances radiologiques, quelques militaires, laboratoires, moyens de surveillance… tout ça a été démonté et ça donne le résultat d’aujourd’hui. C’est pour ça qu’on est là.
Il nous restera ensuite TUREIA, TUREIA a deux blockhaus, et on estime la fin de la première phase de réhabilitation à fin mars de l’année prochaine. »
Premier chantier visité à Rikitea: déterrer les ferrailles.
2- Sur l’incommunicabilité des Archives
« Il se trouve qu’en métropole, il y a une loi sur les Archives qui était due au fait que la réglementation européenne a changé. Il fallait adapter la loi française, et donc il y a une loi qui est en cours de discussion entre l’assemblée nationale et le sénat… Il y a un paragraphe particulier sur ce qui touche les archives de la défense et les documents qui sont classifiés ‘secret-défense’. Je dirais que l’assemblée de Polynésie française a utilisé ce moment pour voter une résolution disant que ça fait longtemps qu’ils demandent un accès aux archives classifiées. Je rappelle qu’il n’y aura pas de dé-classification de ces archives, mais c’est toujours possible en faisant appel à la commission de dé-classification : c’est une commission qui juge document par document. Si on veut dé-classifier les milliers de documents relatifs au nucléaire, je ne vous raconte pas le temps qu’il faudra à cette commission, et je rappelle qu’il y avait un engagement qui avait été pris par le précédent ministre de la défense, d’habiliter au secret défense des membres de l’académie des sciences et de médecine, que ces trois membres sont en train de revoir toutes les archives et mesures faites dans l’environnement dans les années 66-74 et ils feront une publication scientifique sur l’état de la dosimétrie à l’époque des essais aériens, ceci je pense, à l’échéance de la fin de l’année 2009 ; ils vont saisir leurs données fin 2008 et eux, ils ont accès aux archives classifiées et donc là, on tombera dans un rapport de confiance entre scientifiques et je pense que c’est là, la réponse actuelle à celle des archives nucléaires. »
Ci-dessous un convoi de journalistes, qui, exceptionnellement, ne porteront pas la ceinture (et les gendarmes non plus d'ailleurs...)
3- Sur le secret défense
« …Les chiffres ne sont pas « secret défense » en matière d’environnement, nous les avons utilisés dans les documents qu’on a rendus en Polynésie ; dans le courant de l’année 2006 on a donné beaucoup de documents, en 2007, on a donné un livre qui répertorie toutes ces mesures ; elles ne sont pas classifiées, ce qui est classifié, c’est l’ensemble des documents dans lesquels se trouvent ces chiffres de mesures de l’environnement. Il y a dans ces documents, pas seulement des mesures de l’environnement, mais aussi des commentaires sur la façon dont les tirs se sont passés, c'est-à-dire de physique nucléaire, de fusion nucléaire et ça ne peut pas être rendu public. C’est la difficulté d’aujourd’hui, je dis. Les archives ont été ouvertes à des académiciens, qui ont été habilités pour ça, qui vont faire un document qui sera soumis à une revue internationale… ce sera publié, ce sera la référence pour la Polynésie, basée sur des documents authentifiés. »
Ci- dessus, la vice présidente de TE MANA O TE MAU MOTU, Madame Eléanor Parker, en discussion avec le ministre de l'Environnement, Monsieur Lionel Teihotu.
Cette plateforme sera probablement détruite.
4- Sur le délai des actions post-CEP
« …non ça ne vient pas tard…[au sujet des Etats-Unis], la déclassification a pris le temps que ça a pris, mais c’est plein de ‘surface blanchie’ qui laisse supposer qu’on cache quelque chose : on n’a donné que les chiffres qu’on veut. Nous on a choisi une autre méthode, c’est de dire que ‘vous avez accès à tout le document, vous prenez, vous scientifiques, ce que vous jugez indispensable pour recalculer la dosimétrie des essais aériens et des retombées en Polynésie’ ; c’est deux voies différentes, ‘ça arrive tard’, mais on aurait pu le faire de façon plus complète à partir des années 60-74.
Ça ne s’est pas fait, c’était secret défense : je rappelle que moi, j’ai commencé ici en octobre 2005, qu’on a défini un plan d’action début 2006, on est aujourd’hui à la fin 2008, moins de deux ans après, et j’aimerais qu’on me donne acte de tout ce qui s’est fait depuis ce moment là qu’on a dit qu’on ferait et qu’on a fait. »
Ces traces-ci, se démarquant dans le lagon, devront aussi disparaître.
5- HAO et TUREIA
« Sur le projet Hao, ça a toujours été annoncé pour septembre 2008 ; on n’ira pas avant 2009, tant qu’on aura pas fini TUREIA…
On est dans les dernières négociations, j’ai vu un représentant d’une des familles de TUREIA hier, Frédéric Beaufays, administrateur des TUAMOTUS GAMBIERS, qui change de poste à la fin juillet, s’emploie à ce que tout soit figé, que tout le monde soit d’accord, que les deux propriétaires des terrains ; on remboursera les loyers qui n’ont pas été payés à l’époque, puisqu’ en 66, il y a eu des loyers qui ont été payés à des gens qui n’étaient pas propriétaires des terrains ; je dirais que cette erreur administrative sera réglée en monnaie sonnante et trébuchante, avec toute l’actualisation des sommes qui auront été dues à l’époque, et j’espère que les deux propriétaires seront d’accord pour qu’on déconstruise, sachant que ces blockhaus de toute façon, dans quelques mois ou dans cinq ans s’écrouleront… »
le président Gaston TONG SANG et Madame le Haut commissaire, ainsi que le ministre de l'Environnement écoutent attentivement Marcel Jurien de la Gravière leur expliquer les étapes de la mission Réhabilitation.
6- Le Blockhaus
« Il a été intégralement démonté ; les ferrailles ont été ramenées ici et constituées en fagot, et elles ont été évacuées par bateau vers MURUROA en entreposage intermédiaire, ou vers Papeete pour la filière des métaux qui sont donc cédés à une entreprise chargée de récupérer tous les métaux à Papeete, et des stocks, en attendant qu’il y ait un bateau qui vienne récupérer ça, pour une fonderie d’acier chinoise ou autre, en tant que matière première. »
Un petit bout de Rikitea, sans dalles, sans blockhaus, sans ferrailles.
7- Dalles et fosses sceptiques
« Les quelques dalles qui restent le long du chemin étaient tout à fait en dehors du périmètre du blockhaus ; on nous a demandé d’enlever des petits bâtiments qui étaient dessus, bon, avec un tractopelle, s’il faut enlever ces dalles avant de passer au concasseur, on les enlèvera. La seule anomalie qu’il y a eu c’est qu’on est passé- parce qu’on ne la connaissait pas- à côté d’une fosse sceptique d’évacuation des eaux usées du hangar, parce que le hangar avait des sanitaires, on pouvait y rester 24h ou 48h ; on est passé à côté parce qu’on ne la connaissait pas, elle n’était pas contigüe au hangar, mais déportée, décalée. C’est clair, on ne pouvait pas laisser ça comme ça. Par rapport à l’ensemble du travail fait, il y a eu un peu de crispations mais ce n’est pas un problème.
Par contre, j’insiste, sur ce terrain, vous voyez qu’il y a des tas de terre, ils ont été amenés depuis par la municipalité qui utilise ce terrain. Mais ces tas de terre n’étaient pas là avant, maintenant c’est la municipalité qui gère ce terrain. Nous en discutions avec Tavana et le président Tong Sang, car c’est un superbe terrain, qu’ils réfléchissent à quelle est la meilleure utilisation sachant que, comme vous le constatez, on n’est pas tout à fait dans le cœur du village, mais quasiment. C’est un terrain, avant on ne pouvait rien y faire, il était dangereux, aujourd’hui il y a une belle surface, pour faire probablement plusieurs choses… »
Un arbre AITO a poussé au travers de l'épaisse plateforme; s'il a résisté au béton, il n'aura pas résisté à la main des hommes...
9- L’Historial
« Je me maintiens, on en a reparlé hier avec Moruroa e Tatou , hier matin, en fin de matinée. On a décidé de créer un petit groupe mixte probablement entre le COSCEN et j’en ai parlé au président du COSCEN[1] hier soir, pour définir le contenu de cet Historial.
L’architecte de l’Historial Charles de Gaulle à Paris m’a confié qu’on pouvait dimensionner un Historial à la surface et au volume qu’on veut et donc, il nous conseillera… Ceci est quelque chose qu’il faut mettre en marche. Après le contenu, il faudra penser à la technique, chiffrer le projet et bien sûr obtenir le financement.
[1] Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences nucléaires