Intervention du C.E.S.C concernant le projet de LDP relative à la dénomination "boulanger" et l'enseigne commerciale "boulangerie"
(Séance du 26 avril 2012)
Mr Toni TEREINO
Monsieur le Président de la Polynésie française,
Monsieur le Vice-président,
Monsieur le Ministre en charge de l'économie,
Madame, Messieurs les membres du gouvernement,
Monsieur le Président de l'assemblée de la Polynésie française,
Madame la Présidente de la commission des affaires économiques, du tourisme, de l'agriculture, de la mer et des transports,
Mesdames et Messieurs les représentants à l'Assemblée de la Polynésie française,
Cher public,
la orana, Kaoha Nui,
C'est suite à un courrier de saisine du Président de la Polynésie française daté du 18 octobre 2011, que le CESC a eu à examiner le projet de « loi du pays » relative à la dénomination «boulanger» et l'enseigne commerciale « boulangerie ».
Cet examen a donné lieu à 5 séances de notre commission «Economie» au sein de laquelle la société civile organisée a pu recevoir :
- les collaborateurs du ministre en charge de l'économie,
- et les représentants du syndicat des boulangers de Polynésie française.
Ayant été désigné rapporteur de ce dossier, j'ai l'honneur de vous exposer une synthèse de l'avis du CESC, rendu en assemblée plénière le 17 novembre 2011, sur ce projet de « loi du pays ».
Le dernier recensement effectué en 2006 par le syndicat des boulangers de Polynésie française dénombrait 32 boulangeries pratiquant la transformation de matières premières (hors points chauds). Depuis ce recensement, deux boulangeries sur l'île de Tahiti ont cessé leur activité. Sur la trentaine restante, 80% d'entre-elles sont installées sur l'île de Tahiti.
Depuis quelques décennies en Polynésie française comme en Métropole, la profession de boulanger connaît des évolutions majeures avec la multiplication des dépôts ventes et la propagation de points chauds qui vendent du pain cuit à partir de produits préformés surgelés qui ne sont pas transformés sur place. Ces évolutions tendent peu à peu à entretenir la confusion dans l'esprit des consommateurs qui utilisent quasi systématiquement l'appellation de « boulanger » pour des professionnels qui n'en sont pas, en réalité.
Madame la rapporteur vient de nous rappeler qu'il convient de revaloriser la profession de « boulanger » qui, selon les professionnels du secteur réunis au sein du syndicat des boulangers de Polynésie française, se définit comme la personne qui procède, de jour comme de nuit et tout au long de l'année, à la transformation de matières premières en un produit fini : le pain, voire semi-fini.
Compte tenu des conditions particulières et difficiles liées à l'exercice de la profession, et dans le but de maintenir le prix de vente maximum à un niveau relativement bas (53 FCP la baguette de pain de 250 g actuellement), le Pays a mis en place un mécanisme de subventions en faveur des boulangers pour les matières entrant dans la fabrication et le distribution du pain :
- La farine panifiable destinée à la fabrication de la baguette à prix réglementé ;
- Et le gazole servant à la cuisson et aux véhicules de livraison de l'entreprise, en application de la délibération 92-135 AT du 20 août 1992 portant aménagement d'un régime fiscal privilégié applicable aux produits pétroliers sous condition d'emploi.
D'autres avantages fiscaux liés à l'obtention de la patente de boulanger ont été octroyés.
Or, ces avantages peuvent également être obtenus actuellement, par des professionnels ne fabriquant pas le pain, mais utilisant des produits semi-finis frais locaux ou des produits semi-finis de pains surgelés importés, et les faisant cuire dans des terminaux de cuissons ; il leur suffit pour cela d'obtenir la patente de boulanger.
Et en l'absence d'une définition claire de la profession, ces avantages sont parfois obtenus par des non professionnels de la boulangerie.
Pour pallier à cette forme de concurrence « déloyale » entre des professionnels artisans fabriquant un produit et des commerçants vendant un produit quasi-fini après une simple cuisson, il est proposé de définir la profession de «boulanger » et l'enseigne «boulangerie », qui permettront d'obtenir la patente de boulanger et les avantages que je viens d'énumérer et qui lui sont liés.
LES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS du CESC sont les suivantes :
1. Sur le principe :
Le CESC a pris acte que l'objectif poursuivi par le projet de « loi du pays » vise à mieux définir et distinguer la profession de boulanger de celle de l'exploitant de terminaux de cuisson notamment eu égard au fait que le Pays subventionne les matières premières servant à la fabrication du pain à prix réglementé.
L'application du projet de « loi du pays » devrait générer une économie attendue de 50 millions de FCP par an au budget de la Polynésie française.
2. Observations et Recommandations :
A l'issue de l'examen du projet de « loi du pays » soumis à son avis, le CESC a formulé les observations et recommandations suivantes :
S'orienter vers un réel prix de vente de la baguette.
Le CESC observe que du fait du soutien apporté par le pays sur le prix de certaines matières premières entrant dans la fabrication du pain ainsi que dans le prix du gazole nécessaire à la cuisson et aux véhicules de livraison des boulangers, le prix maximal de vente de la baguette est artificiellement bas comparé à la France métropolitaine (86 centimes d'euro en septembre 2011 soit 102,62 F CFP) et à la Nouvelle Calédonie (88 F CFP la baguette).
La pratique du vrai prix de vente de la baguette devrait éviter au Pays de subventionner annuellement la farine panifiable à 439,2 MF CFP et environ 27 MF CFP en gazole, soit un total estimé de 466,2 MF CFP pour 2011.
Par ailleurs, et d'après les professionnels, le prix bas de cette denrée alimentaire générerait beaucoup de gaspillage et un taux d'invendus de l'ordre de 5%2. Sur la base des éléments fournis, les invendus représentent à eux seuls, plus de 23 MF CFP du montant des aides.
En revanche, la libéralisation du prix de la baguette, conséquence de l'abandon de toute forme d'aide du pays pour le secteur, devrait plus particulièrement toucher les plus démunis et notamment les 64 790 personnes affiliées et ayants droit du Régime de Solidarité de Polynésie française (RSPF)3 sans oublier les autres affiliés et ayants droit des autres régimes (RGS et RNS).
Le CESC recommande qu'une étude soit menée sur la possibilité de rétablir le prix de vente de la baguette non subventionnée et de réorienter les aides actuellement octroyées aux boulangers au profit de l'aide sociale directe.
Dans le cadre d'une mise en pratique progressive, la farine panifiable ainsi que le gazole détaxé ne devraient bénéficier qu'aux seuls boulangers installés dans les îles éloignées (archipel des Australes, archipels des Tuamotu et
Gambier et l'archipel des Marquises).
Cette recommandation a eu le privilège de retenir l'attention de Madame la rapporteur.
Pour faciliter une meilleure identification de l'artisanboulanger subventionné.
D'après les professionnels auditionnés au cours de travaux menés par le Conseil économique, social et culturel, le contrôle de l'utilisation de la farine panifiable est effectué sur la foi d'attestation sur l'honneur du boulanger sur l'utilisation de cette farine en rapport à sa production de baguettes.
Le CESC recommande qu'une identification du boulanger qui produit du pain à partir de matières premières aidées puisse être signalée par un logo apposé sur la porte d'entrée de l'établissement et/ou sur les véhicules de livraison.
La présence de ce logo permet de reconnaître facilement l'artisan boulanger aidé et donne la possibilité au consommateur averti de contrôler la qualité de la baguette produite et d'éventuellement signaler à la DGAE toute fraude constatée.
Appliquer les modalités de contrôles du gazole détaxé.
Le CESC recommande que le gouvernement prenne toutes les mesures qui s'imposent pour qu'il soit réellement fait application des dispositions de contrôle qui permettraient d'enrayer la fraude au carburant détaxé.
Sur la rédaction du projet de « loi du pays ».
Concernant l'article LP1 : La rédaction du premier alinéa de cet article qui est la reprise de celle de l'article L 121-80 du code métropolitain de la consommation pourrait être interprétée comme donnant la possibilité au boulanger de délocaliser la cuisson du pain en un autre lieu que celui dédié à la fabrication. Le CESC recommande la rédaction suivante pour cet alinéa :
« L'appellation de « boulanger » et l'enseigne commerciale de « boulangerie » ou une dénomination susceptible de porter à confusion, sur le lieu de vente du pain ou dans des publicités, sont réservées aux professionnels qui assurent eux-mêmes, à partir des matières premières choisies, le pétrissage de la pâte, sa fermentation et sa mise en forme, ainsi qu'éventuellement la cuisson du pain sur le lieu de fabrication ou sur leur lieu de vente au consommateur final, les produits ne pouvant à aucun stade de la production ou de la vente être surgelés ou congelés. »
Cette recommandation a été suivie d'effet puisque le projet de « loi du pays » qui vous est présenté aujourd'hui en tient compte.
Concernant l'article LP2 : Le CESC recommande de lier aussi le bénéfice des avantages fiscaux (décote et abattement sur l'impôt sur les transactions) à l'obligation de vendre du pain à prix réglementé.
Mais comme le fait justement remarquer Madame la rapporteur, vouloir lier ces coefficients modérateurs fiscaux à la vente ou la fabrication de pain uniquement à prix réglementé, ainsi que le préconisait le CESC, pourrait constituer une inégalité de traitement de divers acteurs d'une même profession, d'autant que la structure du prix du pain à prix réglementé tient compte du soutien obtenu par ces boulangers.
CONCLUSION
Sous réserve des observations et des recommandations qui précèdent, le CESC a émis un avis favorable au projet de « loi du pays » relative à la dénomination « boulanger » et l'enseigne commerciale « boulangerie » qui lui a été soumis avec 36 voix pour et 1 abstention.
Je vais maintenant vous faire part de certaines questions, ou observations qui ont fait débat en assemblée plénière, dans le cadre de l'étude du texte :
Allant dans le sens de la dérégulation du marché du pain, certains conseillers ont préconisé le retrait progressif des aides alloués aux boulangers pour l'achat de la farine et du gazole.
«Ainsi seraient seuls subventionnés les plus démunis et non tout un chacun. Les 450 millions de subvention iraient ainsi à une aide sociale directe».
Un conseiller a fait observer que sur l'emploi du gazole détaxé, des contrôles soient réellement effectués pour éviter les abus.
Depuis l'entrée en vigueur de la délibération sur l'emploi du carburant détaxé, les contrôles stricts auraient pu générer des économies conséquentes au Pays.
Allant dans le sens du projet de « loi du pays » un des conseillers considère que l'emploi local chez les boulangers qui pratiquent toutes les étapes de la fabrication du pain doit être protégé, comparés à ceux qui utilisent des pâtons congelés et qui n'emploient pas autant de main d'oeuvre.
Une partie des membres de l'assemblée a souhaité que la profession de boulanger retrouve ses lettres de noblesse.
En commission, le débat a été très nourri autour de la question de la dérégulation du prix de la baguette et de la réorientation des aides du pays en faveur des populations des plus défavorisées.
Voilà, Monsieur le Président, quelques réflexions qui ont alimenté l'étude de ce projet de « loi du pays » au sein du Conseil économique social et culturel.
J'en ai terminé Monsieur le Président,
Je vous remercie de votre attention à toutes et à tous.
Mauruuru.
Toni TEREINO